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ArcheOn
2 avril 2016

De la place des morts (Qu'est-ce qu'une sépulture? Humanités et systèmes funéraires...CEPAM /compte-rendu)

Catacombes de Paris, cl. A. Lazaro        Entre 80 et 100 ensembles funéraires sont fouillés chaque année en France, ce qui représente environ 15% de l’archéologie préventive et programmée du pays. Plus largement, à travers le monde, l’étude des pratiques funéraires, ne cesse de se développer. Car finalement, quoi de plus humain que la mort ? La seule certitude que nous ayons, c’est que nous allons mourir. Pourtant, à travers les âges et les sociétés, les morts n’ont pas occupé la même place, tant au niveau affectif que sur le plan géographique. Des morts assimilés à l’espace des vivants aux morts exclus des villes et villages, chaque société leur a attribué une place, souvent précise et bien définie. Mais même les morts sans sépulture se sont intégrés à l’espace géographique des villes et campagnes.

        I.                    Le mort in urbe

Qu’il soit inhumé dans un cimetière ou au sein-même de l’habitat, le mort fut de tout temps au contact des vivants. Cette pratique témoigne à la fois d’une volonté de faire perdurer la mémoire du défunt, mais aussi d’un contexte sociologique et idéologique influencé par des questions aussi diverses que la religion, le sexe, l’âge ou le statut.

        1.                  Le défunt au cœur de la maison

        Dans le cas des Indiens Jivaros, une tribu d’Amérique du sud, les morts étaient enterrés dans les maisons, sous les axes principaux ou dans certains passages stratégiques. Parfois, la tombe était surmontée d’une banquette ou d’un objet de mobilier qui pouvait venir modifier l’organisation de la maison. Ce traitement, contrairement aux cas qui vont suivre, ne témoigne pas d’une marginalisation mais bien d’un système funéraire destiné à faire perdurer la mémoire des morts. Dans l’antiquité, les enfants décédés avant l’âge d’un an peuvent également être retrouvés au sein des habitats ou à proximité immédiate. Un des lieux privilégiés dans l’habitat est l’auvent des maisons, sous lequel le corps est inhumé. Cette localisation indéfinie des tombes des nouveau-nés et jeunes enfants peut s’expliquer par un contexte socio-culturel où l’enfant, du fait de son jeune âge, n’est pas encore considéré comme un membre important de la société. Plus ancien encore, le cas des hommes de La Tène, présente de nombreux exemples où les corps ont été retrouvés au sein d’habitats, les nécropoles n’étant de toute évidence pas accessibles à tous. Là encore, ce sont les périnataux et immatures qui sont le plus souvent marginalisés.

        2.                  Le mort au sein de l’espace religieux

        Dès le IVe siècle, les morts, longtemps isolés à l’extérieur des villes d’occident du fait de la Loi des Douze Tables, commencent à se rapprocher des vivants. A l’origine de ce phénomène, le Christianisme. Le IVe siècle voit en effet l’émergence de nombreuses communautés religieuses réunies autour d’églises et de chapelles.  Ce siècle voit la matérialisation du lieu de réunion des chrétiens et du culte des saints. Les reliques attirent les vivants mais également les morts, et dans la constante recherche de sainteté qui va caractériser ces siècles, les hommes vont se faire enterrer au contact des saints et de leurs reliques car si les premiers chrétiens sont enterrés dans les catacombes, ils sont de plus en plus nombreux à chercher des sépultures ad sanctos. Tout d’abord inhumés dans des basiliques funéraires à la périphérie des villes à l’instar des nécropoles péri-urbaines, les défunts se rapprochent des lieux d’habitation par l’intermédiaire des lieux de culte. Cette volonté de bénéficier de la proximité du saint va petit à petit entrainer la création de cimetières autour des bâtiments catholiques, cimetières qui deviendront la norme en matière de funéralité. Bien que  l’ensevelissement intramuros soit à nouveau condamnée au IXe siècle,  au Xe siècle, le mot cimiterium devient usuel pour désigner les habitats funéraires dans les villes et villages. Au XIIe siècle, le terme de terre cimitériale apparait pour désigner le lieu où les morts se réduisent en cendres. La forte mobilité des restes des morts et leur faible visibilité favorisent l’enracinement de personnes autour d’une paroisse, terme qui apparait également au XIIe siècle, sous la forme de parocia. Ce modèle funéraire médiéval est encore aujourd’hui bien visible dans de nombreuses villes et villages de l’Occident, les habitats étant regroupés autour des églises, et par là-même, des cimetières et de leurs morts.

        II.                  Une ville pour les morts

Souvent motivée par des préoccupations sanitaires, et parfois religieuses, la création d’endroits extérieurs aux lieux de vie témoigne de l’importance accordée aux défunts et au monde de l’au-delà. Véritables villes des morts, ces espaces funéraires s’organisent selon des critères variés.

        1.                  Les nécropoles et catacombes

Nécropole des Alyscamps à Arles, cl. A. Lazaro

        Durant l’Antiquité, le droit romain, et plus particulièrement la Loi des Douze Table à partir du Ve siècle avant JC, instituant que les morts et vivants ne devaient pas se côtoyer, les défunts étaient enterrés dans des catacombes ou des hypogées à l’extérieur de la ville et le long des axes de circulation.  Ces grands ensembles funéraires, sortes de mégalopoles du monde des morts comptaient parfois plus de 1000 sépultures, comme celle de Banditaccia en Italie. Au sein même de ces catacombes, l’espace était souvent organisé entre les adultes et immatures, le traitement funéraire pouvant varier selon l’âge et le statut de l’individu. Les emplacements pouvaient être définis par l’âge -les immatures (quand ils étaient acceptés au sein des catacombes) étant souvent réunis dans un même endroit-, la richesse du mort ou même le métier, comme certains loculi où ont été retrouvés des membres d’un même métier. Cependant, le contraire est également vrai est certaines nécropoles et catacombes ne présentent aucune organisation interne, tout juste parfois quelques voies de circulation.

        2.                  Les espaces funéraires « bas de gamme »

        Dans la Rome antique, en plus des catacombes, existaient des lieux suburbains voués aux funérailles des miséreux, que l’on appelle culinae ou culae. Le terme, qui désigne ordinairement les cuisines, renvoie le mort à un rebus, en le rendant indigne d’un enterrement plus noble. A Rome, c’est le terme de puticuli qui est employé pour désigner les fosses en forme de puits sur le mont Esquilin, pour ceux qui ne peuvent payer une tombe privée ou un bucher funéraire. Cette ségrégation va perdurer jusqu’à ce siècle avec l’existence de fosses communes connues aujourd’hui sous le nom de carré des indigents (même si les tombeaux sont désormais individuels, les fosses réellement communes n’existant plus en France). Cette séparation est avant tout liée à un aspect matériel et financier. Les plus pauvres, les miséreux n’ayant pas les moyens de se payer une sépulture, ou une concession à partir du Moyen Âge,  étaient enterrés sans égards dans des lieux bien distincts.

        III.                Le mort sans sépulture

Parfois oubliés par les archéologues, historiens et anthropologues, les morts sans sépultures constituent pourtant une part des sociétés anciennes et modernes. Ainsi que l’écrit J. Leclerc en 1900, « ce qui fait la sépulture, c’est l’intentionnalité du dépôt, la volonté d’accomplir un geste funéraire ».  Qu’en est-il donc pour tous ceux privés de sépultures, parfois jetés comme de vulgaires détritus ou abandonnés sous la potence qui les a passés ad patres ?

        1.                  La privation volontaire de sépulture : le cas des fourches patibulaires

        Parmi les morts sans sépultures, on retrouve régulièrement les condamnés à mort. La gestion des cadavres se faisaient au coup par coup. Parfois, les individus étaient déposés dans la fosse avec leurs affaires et la corde autour du cou. Parfois, ils étaient mis en terre nus. D’autres fois, habillés. Cet espace, cloisonné et délimité n’est alors jamais désigné comme cimetière. Mais parmi ces morts-là, certains n’avaient parfois même pas droit à une sépulture, aussi sommaire et infamante soit-elle. Dans le cas d’une privation volontaire de sépulture, le mort pouvait être laissé dans une cave sous les potences. Dans certains cas, les morceaux du corps pourrissaient à l’air libre. Les fourches, visibles et entretenues, bien qu’à l’extérieur de la ville, faisaient partie du paysage de la société. Les morts devenaient alors des objets au service de la paix sociale, ainsi qu’un marqueur judiciaire. Parmi les privations volontaires de sépulture, on retrouve également les sanctions de l’Eglise pour les excommuniés, à partir du IXe siècle. On parle alors d’insepultus, ou parfois de sépulture de l’âne. Dans ce cas, le mort est privé du rituel des lamentations et enterré sous du fumier. A noter qu’au Moyen Âge, la privation de sépulture est temporaire et peut être abolie si la famille du défunt parvient à faire pardonner les fautes de ce dernier.

        2.                  Le mort en tant que rejet détritique

        Dans certains cas, le mort n’est pas traité en tant que personne ayant vécu, mais en tant que déchet ou détritus. On se débarrasse alors du corps dans des endroits sans valeur funéraire. C’est ainsi qu’on a pu retrouver au cours des siècles des ossements humains dans des puits, caniveaux ou fosses isolées. Si le contexte de la mort de ces individus est parfois identifiable comme dans le cas des restes osseux d’environ cents périnataux découverts dans un égout et qui témoignent d’un infanticide par étouffement ou noyade aux X-XIe siècles, il reste souvent nébuleux. Dans un contexte qui n’est pas ritualisé, comme identifier le processus de mort lié au cadavre ? Dissimulation de meurtre, sacrifice, corps outragé, enfant non-désiré, les raisons peuvent être multiples. Si la mort en elle-même peut être identifiée par sa nature, ses causes ou son origine, c’est l’après mort qui reste sans réponse, puisqu’il n’y a pas de techniques de gestion du corps, de rite funéraire ou d’aspect eschatologique. Les ossements sont d’ailleurs souvent retrouvés mélangés à des ossements animaux ou à des débris de mobilier ou vaisselle, par exemple. Ces dépôts, dits de relégation sont souvent difficiles à trouver car ils ne correspondent pas à un geste funéraire et représentent des cas isolés.

        D’une culture à une autre, d’un statut à un autre, le traitement des morts diffère à travers les époques. Cette place que le mort occupe est liée à de nombreux aspects. Les croyances religieuses et la possibilité d’une vie dans l’au-delà ont motivé dans de nombreux cas le choix du traitement funéraire. Les préoccupations sanitaires ont également joué un rôle important dans l’espace physique accordé aux morts. Le statut du mort au sein de sa famille, et plus largement de la société où il vivait est aussi à prendre en compte. Enfin, la manière dont l’individu est mort peut infléchir le choix de sa sépulture, ou de sa non-sépulture, dans certains cas. La place du mort est donc le résultat de multiples facteurs, tant sociologiques qu’idéologiques, et elle est destinée à évoluer en même temps que les sociétés et les préoccupations et croyances des vivants.

 Aude Lazaro

Comte-rendu du séminaire des 13-14-15 octobre 2015, 36èmes Rencontres internationales d'archéologie et d'histoire d'Antibes : Qu'est-ce qu'une sépulture? Humanités et systèmes funéraires de la préhistoire à nos jours

Plus d'informations ici : https://www.cepam.cnrs.fr/actualite/publication-actes-des-xxxvie-rencontres-quest-ce-quune-sepulture-humanites-et-systemes-funeraires-de-la-prehistoire-a-nos-jours/

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