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ArcheOn
13 mars 2020

Protéger la ville au Moyen Âge : les ceintures spirituelles des XIVe-XVIe siècles (Alpes-Maritimes)

La ville médiévale, et plus encore  la ville littorale, est soumise à la fin du Moyen Âge à plusieurs crises militaires et sanitaires. Situées dans un espace frontalier stratégique, carrefour commercial entre les ports et la route du sel, Cannes, Nice, Antibes et Villefranche-sur-Mer ne firent pas exception à la règle.

Comment donc protéger la ville et ses habitants des maladies et des raids, alors même que la région souffre régulièrement d’épidémies dévastatrices et des conflits entre les puissances monarchiques et impériales qui succèdent aux guerres pour la succession de la reine Jeanne ? Si l’on pense spontanément aux remparts et autres systèmes défensifs militaires (remparts et fort Carré d’Antibes, citadelle Saint-Elme de Villefranche-sur-Mer), il est une forme de protection, moins visible dans le paysage mais non moins présente, qui se met pourtant en place autour des villes à cette époque.

Cette protection, avant tout spirituelle, se manifeste par une ceinture de chapelles qui enserre la ville comme le ferraient des remparts. Elle n’est pas nécessairement destinée à protéger les habitants des incursions de soldats, mais elle doit en revanche les garder des épidémies, des maladies, et dans certains cas, du danger inhérent à des professions spécifiques.

A Cannes, qui n'est akors encore qu'un gros village, elle se matérialise au sud avec la chapelle Saint-Pierre, implantée sur le port, et au nord avec la chapelle Saint-Antoine située en bordure de l’habitat médiéval. Les documents anciens mentionnent également un lieu-dit « St-Sébastien[1] » mais sa localisation ne nous est pas connue. Peut-être était-ce l’édifice à l’ouest de la chapelle Saint-Antoine[2].

Cannes à la fin du Moyen Âge

Cette ceinture spirituelle se manifeste avec encore plus de rigueur à Antibes où la chapelle Saint-Sébastien garde la porte ouest des remparts, la chapelle Notre-Dame d’Entrevignes s’implante au nord, et la chapelle Saint-Roch, suivie de la chapelle du Saint-Esprit, garde l’accès est de la commune. Au sud, la chapelle Sainte-Claire, implantée sur le port, complète ce balisage cardinal. Il existait à la même époque une chapelle dédiée à saint Pierre[3]. Bien que son emplacement ne nous soit pas connu, il y a fort à parier pour qu’elle se soit également trouvée sur le versant sud de la ville (côté mer).

Siège d'Antibes de 1592 (ASTo)

A Nice, une partie de cette ceinture de protection suit le rempart naturel du cours du Paillon. On retrouve donc, placés en face du pont permettant accéder à la ville au nord, deux édifices : une église dédiée à saint Jean-Baptiste et une chapelle dédiée à saint Antoine. Au sud, c’est à la porte Marine que fut construite une chapelle consacrée à saint Roch. Enfin, si la première chapelle Saint-Sébastien se trouvait en bordure de l’ancienne enceinte de la colline du Château, un deuxième édifice fut construit le long du Paillon, à côté de la porte Pairolière[4] et de la chapelle Notre-Dame de Sincaire[5].

Nice chapelles MA

A Villefranche-sur-Mer, la chapelle Saint-Pierre, implantée sur le port (au sud), assurait la protection des pêcheurs et marins tandis que la chapelle Saint-Roch, suivie de la chapelle Saint-Jérôme, gardait l’entrée est de la ville. L’ouest était défendu par la citadelle Saint-Elme et sa chapelle éponyme, mais aussi par une chapelle qui aurait été celle de Saint-Sébastien[6]. Au nord-ouest, la chapelle du Saint-Esprit (devenue Sainte-Elisabeth au XVIIIe siècle) fut construite le long du vallon de la Barmassa, limite naturelle de l’habitat médiéval.

Villefranche

Villefranche, restitution de l'ancienne ceinture de chapelles

La simple observation de ces quatre cordons sanitaires spirituels permet d’observer une permanence au niveau des protecteurs assignés à la défense de la cité. On y retrouve donc systématiquement au moins deux des trois saints prophylactiques fréquemment invoqués à cette période : saint Roch (Antibes, Nice et Villefranche-sur-Mer), saint Sébastien (toutes les communes) et saint Antoine (Cannes et Nice). Il faut y ajouter, pour au moins deux cas attestés, une chapelle dédiée à saint Pierre, implantée en versant sud sur le port, ainsi qu’une chapelle consacrée à la Vierge Marie (Notre-Dame d’Entrevignes et Notre-Dame de Sincaire) et une à l’Esprit sain.

Sans parler de modèle, on peut tout de même observer un schéma qui se compose souvent comme suit : un ou plusieurs édifices consacrés à l’un des trois principaux saints prophylactiques du bas Moyen Âge, un édifice consacré à la Vierge Marie et un à l’Esprit saint. Il faut également y ajouter, pour les villes littorales, le culte de saint Pierre.

Ces remparts spirituels, souvent placés en avant des remparts maçonnés ou à leur contact, forment ainsi un schéma qu’il serait intéressant de confronter à d’autres villes, littorales ou non, de l’Occident tardo-médiéval.

Aude Lazaro


[1] AD 06, H 0490 (1523) et H 0486 (1528)

[2] Notons tout de même le toponyme actuel de la rue Saint-Dizier et l’emplacement, dans la même rue, d’une église dédiée à saint Roch qui pourrait avoir remplacé un lieu de culte plus ancien.

[3] AD 06, 08B 0081

[4] AM Nice, CC 294, CC 359, CC 363, etc.

[5] AM Nice, CC 289 et CC 286

[6] Jean-Pierre Jardel, Rafaele Antoniucci, Alain Frouté, Jean Mascle, « D'une fontaine sacralisée à une chapelle sans nom Découverte d'un site patrimonial à la Darse de Villefranche-sur-Mer », Archéam, n°20

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